« Un éminent “chasseur de nazis” dénonce l’inaction “lamentable” du Canada ». Par Rania Massoud

, par  J.G.
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« Ottawa a beau s’excuser après le scandale provoqué par l’hommage rendu à un vétéran ukrainien ayant combattu avec les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, le Canada devrait “avoir honte” de ses efforts “lamentables” dans la traque de criminels de guerre, estime Efraïm Zuroff, directeur du bureau israélien du Centre Simon Wiesenthal et l’un des derniers “chasseurs de nazis” en activité.

Depuis le début de la semaine, le gouvernement fédéral tente de résorber la controverse survenue lors de la visite du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, vendredi dernier. Le président de la Chambre des communes, Anthony Rota, a alors invité l’assemblée à applaudir Yaroslav Hunka, 98 ans, un résident de sa circonscription ayant été membre de la Division SS Galicie, une unité de volontaires sous le commandement nazi de la Waffen-SS.

M. Rota, qui s’était excusé à deux reprises depuis vendredi, a finalement cédé à la pression des partis politiques et a annoncé sa démission mardi.

M. Zuroff, qui a fait de la traque aux criminels nazis sa mission de vie, affirme avoir personnellement retrouvé 2884 suspects dans 22 pays. Parmi eux, 250 se trouveraient au Canada, selon lui. “J’ai personnellement remis la liste des noms aux autorités canadiennes, mais rien n’a été fait”, déplore-t-il dans un entretien téléphonique avec Radio-Canada.

“Le Canada a un bilan absolument épouvantable dans la traque des nazis qui sont entrés dans le pays sous de faux prétextes.”
Efraïm Zuroff, directeur du bureau israélien et des affaires est-européennes, Centre Simon Wiesenthal

Le nombre exact de présumés criminels de guerre nazis arrivés au Canada dans les années 1950 n’est pas connu. Selon le Centre Simon Wiesenthal, qui a pour mission de préserver la mémoire de la Shoah, ils seraient “des milliers”, alors que la Commission d’enquête Deschênes, mise en place par le gouvernement fédéral en 1985 pour se pencher sur cette question, a évalué leur nombre à “quelques dizaines”.

Dans son rapport, soumis en 1986, la Commission indique que cet écart dans les chiffres s’explique par un “amalgame” entre “criminels de guerre” et “sympathisants”.

La Commission mentionne d’ailleurs explicitement la Division SS Galicie, dans laquelle a combattu M. Hunka, affirmant que les membres de cette unité “ont fait l’objet d’un contrôle de sécurité avant leur admission au Canada”. “Les accusations de crimes de guerre contre les membres de la Division SS Galicie n’ont jamais été étayées”, ajoute le rapport.

Cette unité avait pourtant été déclarée “organisation criminelle” par le Tribunal militaire international lors du procès de Nuremberg.

Quelques cas célèbres

L’identification et la poursuite des criminels de guerre au Canada, y compris ceux de la Seconde Guerre mondiale, relèvent du Programme sur les crimes de guerre. Il s’agit d’un programme fédéral né d’un partenariat entre quatre agences fédérales : la GRC, le ministère de la Justice, Immigration et citoyenneté Canada et l’Agence des services frontaliers du Canada.

“Parce qu’il est de plus en plus improbable que les poursuites des crimes commis au cours de la Seconde Guerre mondiale soient fructueuses, le Programme a récemment mis l’accent sur la révocation de la citoyenneté”, indique le Programme sur les crimes de guerre dans un rapport publié en 2008.

C’est à partir de 1994 que le gouvernement canadien commence à privilégier la révocation de la citoyenneté plutôt que les poursuites criminelles à la suite de l’acquittement de plusieurs anciens combattants nazis, dont Imre Finta et Stephen Reistetter, en l’absence de “preuves suffisantes”.

L’un des cas les plus célèbres de criminels de guerre nazis extradés du Canada est celui de l’ancien caporal SS d’origine ukrainienne Michael Seifert. Surnommé le “bourreau de Bolzano”, Michael Seifert avait commandé le camp de transit de prisonniers de Bolzano, dans le nord de l’Italie, de juin 1944 à avril 1945.

Installé au Canada à partir de 1951, Seifert avait été reconnu coupable de 11 homicides en 2000 par un tribunal italien et condamné par contumace à perpétuité. Il n’a finalement été extradé par le Canada qu’en2008 et a fini ses jours dans une prison militaire italienne en 2010.

Contrairement aux pays européens, le Canada “exigeait le plus haut niveau de preuves pour démontrer que ces personnes avaient bien collaboré avec les nazis, ce qui rendait très difficile tout jugement”, dit Efraïm Zuroff.

Le cas d’Helmut Oberlander illustre bien la lenteur du processus. Ancien membre d’un commando nazi, il a été privé de sa citoyenneté canadienne en 2012, mais il avait contesté son extradition à plusieurs reprises devant les tribunaux. Cet ancien résident de Waterloo, en Ontario, est finalement décédé en septembre 2021 alors que la saga judiciaire n’a jamais pu aboutir à son extradition vers l’Allemagne.

Arrivé au Canada en 1954, Oberlander est devenu citoyen canadien six ans plus tard, sans jamais divulguer son passé militaire aux autorités canadiennes.

“Le Canada est un cas désespéré, c’est honteux. [Les autorités] doivent reconnaître que leurs efforts sont lamentables et elles doivent tirer les leçons nécessaires pour ne plus jamais commettre les mêmes erreurs.”
Efraïm Zuroff, directeur du bureau israélien et des affaires est-européennes, Centre Simon Wiesenthal

Selon Pierre Anctil, spécialiste de la culture juive et professeur d’histoire à l’Université d’Ottawa, une nouvelle enquête sur les criminels de guerre de la Seconde Guerre mondiale apporterait “très peu de résultats” aujourd’hui, en raison notamment de la mort de plusieurs des témoins de l’époque.

“On n’est arrivé à absolument rien avec la Commission Deschênes dans les années 1980, alors ce serait surprenant qu’on fasse mieux aujourd’hui”, a-t-il dit à Radio-Canada, affirmant que les anciens combattants nazis au Canada sont arrivés dans le pays dans les années 1950 “sous de faux prétextes”.

“Ce n’est donc pas si simple de prouver, plusieurs décennies plus tard, que telle personne a été dans tel régiment à tel moment et qu’elle est donc une personne coupable de crimes de guerre”, ajoute M. Anctil.

Selon lui, “chaque cas aurait dû être évalué individuellement et c’est cela que le gouvernement du Canada n’a pas pu faire à l’époque”.

“Il y a beaucoup d’immigrants qui s’étaient présentés aux portes du pays au lendemain de la guerre, dont plusieurs anticommunistes, et le gouvernement canadien était relativement clément envers les personnes qui luttaient contre l’Union soviétique.”
Pierre Anctil, professeur d’histoire à l’Université d’Ottawa

Maintenant, selon lui, le Canada est appelé à “remettre les pendules à l’heure” en rappelant la gravité des exactions commises par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale.

Un appel que soutient le Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CIJA), qui affirme que la controverse survenue vendredi “souligne une fois de plus l’importance de l’enseignement de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale”.

“Le Canada ne s’est jamais complètement réconcilié avec le fait que des combattants nazis y ont immigré et vivent une vie tranquille dans nos communautés, malgré les atrocités auxquelles ils ont pu être associés.”
Shimon Koffler Fogel, PDG du Centre consultatif des relations juives et israéliennes

L’organisme appelle par ailleurs le gouvernement canadien à “charger le Programme canadien sur les crimes de guerre d’examiner et de prendre en compte toute nouvelle preuve révélée par la publication de nouveaux documents” pour condamner les présumés criminels de guerre qui vivent actuellement au Canada.

Le ministère de la Justice répond

“Toutes les allégations de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre sont prises au sérieux et il revient au Programme [sur les crimes de guerre] de traiter toutes les allégations de ce type”, a déclaré le ministère fédéral de la Justice par courriel.

“Depuis le début des années 1980, le gouvernement du Canada a pris des mesures relativement à des affaires de crimes de guerre nazis commis au cours de la Seconde Guerre mondiale. Au total, le gouvernement a agi dans 27 affaires”, poursuit une porte-parole du ministère.

Le ministère précise qu’ “il s’agissait entre autres de poursuites criminelles, d’extraditions, de mesures de révocation devant la Cour fédérale du Canada et de procédures d’expulsion. Le gouvernement a réussi à obtenir des déclarations des tribunaux quant à l’acquisition frauduleuse de la citoyenneté canadienne dans la majorité des cas”. » Rania Massoud

Source : radio-canada.ca le 26 septembre 2023


Compléments de J.G. :
Anthony Rota, à droite, tenant la main de Yaroslav Hunka...

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